Le 20 mai 2020, le super cyclone tropical Amphan, s’est abattu sur les côtes du Bengale Occidental. De catégorie 4 sur l’échelle de Saffir-Simpson qui en compte 5, avec des vents jusqu'à 185 kilomètres heure, il a provoqué des dégâts considérables. Près d’un million de personnes ont été ou sont toujours, six jours après le drame, privées d’eau, d’électricité, de téléphone et d’internet, sept cent mille personnes ont été évacuées – salutaire leçon du précédent drame – et quatre-vingt-quatre personnes sont décédées.
Les vents ont endommagé plus d’un million et demi d’habitations, soufflé des centaines de milliers de maisons en terre, arraché plusieurs dizaines de milliers d’arbres, abattu pylônes et centres électriques et plus de mille quatre cents tours de communication. Ce cyclone est le plus puissant de la région depuis Odisha en 1999. Les dégâts ont nécessité l’intervention de l’armée pour dégager les axes de communication qui semblaient avoir été dévastés par la guerre.
Dès l’après-midi de mercredi, nous avons perçu l'approche du cyclone. Le vent a forci, des nuages noirs ont obscurci le ciel et chacun s’est calfeutré chez soi. Dans notre centre en briques solides, je pensais à toutes ces familles avec leurs enfants à qui nous venons en aide, qui affronteraient cette tempête tropicale au milieu des slums, dans des maisons ficelées de plastiques et de tôles, ouvertes à tous vents, et que la tornade aurait vite fait de renverser. Un tiers de la population de notre agglomération vit dans de telles conditions.
Vers 17 heures, les premiers dégâts sont apparus dans notre centre. Des bruits de craquement, de froissement de tôles effrayants laissaient assez bien entendre notre fragilité face à la puissance de l’ennemi. Le lourd portail de métal du centre a été enfoncé, son gros cadenas brisé comme une allumette. Un arbre a commencé à s’abattre, puis un autre. L’eau de la rivière Hooghly, toute proche a débordé et a envahi tout le quartier. Au total, à EPN, dix-huit arbres ont été déracinés, donnant au centre des allures post-apocalyptiques. Notre centre de Ashaneer a lui aussi subi beaucoup de dégâts, avec la chute de cinq arbres et l'inondation de nos bureaux.
Le lendemain matin, Calcutta est méconnaissable, Howrah ravagée, et plus au sud et sur la côte, notamment dans l’immense mangrove des Sunderbans, la situation catastrophique. Là-bas, les fragiles maisons de terre ont été soufflées comme des fétus de paille, les arbres achevant de détruire ce qu’il en restait. Les réserves de riz et de nourriture ont été noyées, les digues ont cédé laissant l’eau salée inonder les villages et les terres cultivables. Celles-ci sont rendues inutilisables pour les trois prochaines années.
Ce que le covid-19 et le confinement n’avaient pas réussis à faire, le cyclone l’a fait… Devant la puissance du cyclone, sous la force du vent et de l’eau insaisissables, un sentiment de vulnérabilité s’est imposé. Face à la nature déchaînée, l’homme n’est rien de plus qu’un roseau. Pilônes à terre, tôles déchirées, maison détruites, murs criblés de morceaux de feuilles comme des éclats d’obus, arbres couchés, aux racines découvertes, tout témoigne de la force invincible du vent. Quelques jours plus tard, le feuillage des géants au sol, encore vert, a fini par sécher. Les arbres, qui semblaient dormir, montrent le visage de la mort.
Pourtant, devant tant d’adversité, ce roseau qu'est l’homme révèle une incroyable dignité et un grand courage. La même dignité et le même courage que présentent ces femmes vivant dans la pauvreté, mais fièrement drapées dans un saree impeccable, les cheveux sobrement noués en arrière. Dès le matin, tous ont commencé à évaluer les dégâts. A EPN, armés de machettes, nous nous sommes mis à couper les branches, dégager les allées, balayer les feuilles, car devant la dévastation et le chaos c’est bien la vie et l’ordre qui allaient prendre le dessus. Au centre d’Ashaneer, le gros arbre tombé devant le portail a enfin été dégagé, et la voie est libre pour nos ambulances. Nous allons pouvoir organiser les secours de première nécessité pour des centaines de familles des Sunderbans durement touchés. Tous ceux qui parcouraient des dizaines de kilomètres pour rejoindre nos dispensaires mobiles sont désormais dans des conditions très précaires. C'est nous qui irons à eux pour leur apporter une aide d'urgence.
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