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Photo du rédacteurP. Laurent

La misère frappe à ta porte...

Dernière mise à jour : 8 mars 2023


Light, oh where is the light? (Tagore, Gîtanjali, 1912)


Lumière, où est la lumière ? Allume-la avec le feu brûlant du désir !

La lampe est là, mais jamais ne scintille la flamme,

tel est ton sort, mon cœur ! Ah, la mort était de loin meilleure pour toi !

La misère frappe à ta porte

pour te dire que ton Seigneur est éveillé,

il t’appelle au rendez-vous amoureux à travers l’obscurité de la nuit. […]


Chers amis,

Tagore à Londres, 1912

En ces temps inédits de confinement généralisé, aux résonnances bibliques, nous savons que partout ce sont les plus démunis qui d’abord souffrent. Ici en Inde, ce n’est pas tant le virus qui est craint que les conséquences du lockdown. Des centaines de milliers de migrants ont pris la route, en bus, à pied, seuls ou en famille pour retourner dans leurs villages d’origines où ils pourront trouver l’aide de leurs proches. Des millions de travailleurs journaliers n’ont plus de ressources pour vivre. La situation a conduit HSP à s’engager, aux côtés de nombreuses organisations, dans la distribution alimentaire d’urgence. En même temps, à la demande du gouvernement, nous avons dû fermer plusieurs de nos foyers de Howrah ainsi que toutes nos écoles. Je dispose donc d’un peu plus de temps, y compris pour la lecture. La poésie, me semble-t-il, comme Hölderlin l’a si subtilement exprimé, a le pouvoir, dans les temps de détresse, de nous orienter vers les vérités profondes qui apaisent l’inquiétude du cœur. “Il t’appelle au rendez-vous amoureux à travers l’obscurité de la nuit.” Omniprésent dans la culture bengalie et indienne (on lui doit notamment l’hymne indien et des milliers de chants populaires) Tagore inspire et nourrit notamment le regard que je porte sur l’Inde. Il renouvelle ma perception de l’Occident depuis les rives du Gange où j’habite. Ce poème, tiré du

recueil Gîtanjali, a été publié il y a un peu plus de cent ans en anglais. A l’époque, âgé d’une cinquantaine d’années, ce penseur génial, protéiforme, tout à la fois poète, essayiste, engagé dans les questions politiques et sociales, dramaturge, compositeur et même peintre, est alors très célèbre en Inde mais à peu près inconnu en Europe. Après avoir perdu successivement sa femme, son fils et son père, il perd aussi son enthousiasme et sa santé. Un peu plus tard, il décide d’entreprendre un long voyage en Europe. Sur le bateau, pour tromper son ennui, il traduit en anglais quelques-uns de ses poèmes. Il est accueilli à Londres, rencontre T.E. Lawrence, Ezra Pound, Bertrand Russel et son recueil, publié avec une introduction de Yeats, rencontre un grand succès. On reconnaît en lui un grand poète mystique. Très vite il est traduit par André Gide puis devient rapidement célèbre dans le monde entier.


Poète mystique

Nabadi Das, poète baul

Dès l’année suivante, en 1913, il a en effet reçu le prix Nobel de littérature, reconnaissance exceptionnelle pour un non-européen et non-occidental. L’Europe d’avant-guerre est encore centrée sur elle-même, peut-être imbue de supériorité et certainement peu consciente de sa décadence. La reconnaissance de celui que l'on surnomme en Inde Gurudev – le grand sage – n’est pas le fruit d’une vraie rencontre avec l’Orient mais plutôt une lecture en miroir ou bien une attraction exotique et peut-être condescendante. Compris trop superficiellement, Tagore est un poète anglicisé qui s'est adapté aux goûts européens. En fait c’est un homme aux multiples facettes. Profondément engagé dans le mouvement de Renaissance du Bengale qui a eu un impact sur l’Inde tout entière, il a participé au renouveau de sa langue et à la promotion de la civilisation millénaire de l’Inde. Il s’est engagé socialement et politiquement dans les problèmes récurrents de son pays :  la place des femmes, la rigidité de la société de caste. Il a édité des journaux, fondé une université, soutenu le mouvement d’Indépendance. Pour certains européens la poésie de Tagore fait l’effet d’un choc. C’est la découverte d’une poésie spirituelle, fruit d’un héritage toujours vivant, là où par contraste, l’Europe a méprisé la poésie et le sacré en se coupant de ses propres racines. C’est à cette époque que l’on recommence à lire Bernard de Clairvaux, Jean de la Croix et Thomas a Kempis. Tagore, héritier de la poésie de la bhakti de l’Inde médiévale et de la longue lignée des poètes mystiques bauls, témoigne d’une Inde éternelle qui n’a pas sacrifié le spirituel sur l’autel du matérialisme et de l’humanisme athée.


“Ma foi dans l'homme”

Tagore se présente à l’Europe comme un sage, un prophète qui interpelle l’homme et l’appelle à retrouver la haute vérité cachée en lui-même. Éduqué en Angleterre, mais profondément Indien et Bengali, c’est un passeur entre l’Orient et l’Occident, convaincu de l’interdépendance enrichissante des peuples. Toute sa vie il parcourt le monde, voyage du Japon jusqu’à l’Amérique en passant par la Russie. Pourtant, en 1941, quelques mois avant sa mort, il écrit une sorte de testament, La crise de la civilisation : “J’ai cru un certain temps que les sources de la civilisation se trouvaient au cœur de l’Europe, mais, aujourd’hui, alors que je suis prêt à quitter le monde, cette foi m’a abandonné. Je regarde autour de moi et je ne vois que les ruines de cette orgueilleuse civilisation, dispersée comme un vaste amas de futilités. Et cependant, je ne commettrai pas ce péché grave de perdre ma foi dans l’homme.” Difficile de ne pas rapprocher ce constat de celui d’un autre écrivain, européen celui-là. Saint-Exupéry écrit en 1943 que notre civilisation ne sait plus répondre à “la vie spirituelle, poétique ou simplement humaine de l’homme.” [...] “Les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes ; hors des sciences de la nature, ça ne leur a guère réussi ! Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit, plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme...”


Habitant la frontière

Moi-même, parti d’Occident sans l’avoir tout à fait quitté, arrivé en Inde sans l’avoir encore vraiment rencontrée, habitant cette frontière, dans ce Bengale aux confins de l'Inde, pour entrer dans un dialogue de culture et de foi, j’étais convaincu de trouver cette tradition spirituelle bien vivante. J’ai découvert un pays en pleine mutation, fasciné par le modèle occidental, perdant son âme à mesure qu’il s’évertue à lui ressembler davantage. L’Inde semble presque pressée parfois de se délester de ses traditions et de sa sagesse millénaire, perdant ses couleurs, ses racines, sa foi, délaissant ses temples pour des centres commerciaux, balayant l’harmonie originelle du féminin et du masculin et la modestie traditionnelle pour adopter la mode unisexe ou l’impudeur, remisant saris, penjabis et sandales pour jeans, baskets et t-shirts, oubliant ses poètes et ses chants folkloriques pour leur préférer des musiques répétitives et abrutissantes. Les déchets naturels, depuis toujours confiés aux rivières et emportés vers la mer immense sont remplacés par les plastiques, tristes emblèmes de

notre société de consommation, qui engorgent désormais ces mêmes rivières. Pendant que de trop nombreux enfants souffrent de malnutrition, les enfants (trop) bien nourris sont devenus obèses, gavés de junk-food importée de l’industrie agroalimentaire qui trouve ici des débouchés prometteurs. Toutes ces questions je les partage avec mes interlocuteurs bengalis. Comment les blâmer tout-à-fait… ? Au Bengale le souvenir des famines est encore dans toutes les mémoires et une petite bedaine est signe de bonne santé. En réalité, la plus grande partie de la population est encore épargnée par cette occidentalisation. Mais l’écart se creuse de manière dramatique entre une frange de la population devenue très riche et des millions de pauvres prisonniers de la misère.

Les grands attributs spirituels de l'Inde

Si Tagore critique l’Occident, il est pourtant lucide aussi sur son pays et sur les démons qui le hantent. Dans les années 30 il écrit : “Elle traverse une crise, ma patrie. Et sa plus grande défaite ne serait pas de retomber dans l’esclavage politique, mais de perdre ses grands attributs spirituels, qui en ce moment, provisoirement, sont déchus de leur suprématie millénaire.” Pour l’instant, l’Inde est comme coupée en deux. Une partie vit déjà pleinement au XXIe siècle, au rythme de l’Occident, avec ses avantages matériels et son matérialisme, une autre émerge d’une époque où rien n’a changé ou presque depuis des générations. Ces deux Indes, je les trouve symboliquement de chaque côté de la Hooghly, ce défluent du Gange sacré, que je traverse chaque semaine pour mes cours de bengali à l’institut américain. D’un côté Calcutta, qui, dans certains quartiers, montre de plus en plus le visage aseptisé d’une ville occidentale. De l’autre Howrah, modeste périphérie urbaine qui est encore un chaos vivifiant de couleurs, de sons et d’odeurs, souvent de misère, presque toujours de traditions sans âge,

d’humilité religieuse devant le Dieu suprême. Ses habitants y vivent encore pour la plupart à la manière de l’Inde des villages. Le signe le plus saisissant du contraste, c’est la disparition de la joie des enfants. A Calcutta, les petits enfants bouffis de sucreries ne sourient plus, occupés à manger ou hypnotisés par les écrans. A Howrah, les enfants de nos centres ont des sourires lumineux, rayonnant d’une joie qui n’est pas de ce monde. Dans ces sourires, la transparence de leur âme se révèle sans voile. La crise que dénonçait plus tôt Tagore est peut-être double. Au-delà du drame de la disparition des valeurs spirituelles et de l’occidentalisation, un autre fléau guette l’Inde : leur instrumentalisation par le nationalisme hindou qui se diffuse dangereusement à travers le pouvoir central et un réseau d’institutions.

Visite de confrères MEP

En janvier nous avons reçu la visite de deux confrères MEP, Ivan et Michel, ayant des responsabilités au Conseil et à l’Économat à Paris. Je leur ai fait découvrir HSP et quelques-uns de nos centres et de nos programmes, sans oublier un passage à Calcutta, la “Cité de la joie”, et un pèlerinage à la mother’s house sur la tombe de Mère Teresa. La visite qui souvent marque le

plus est la visite de bidonvilles que nous effectuons avec le staff de notre programme d’aide aux jeunes mamans. Le slum de Coal Depot, un des milliers de slums de l’agglomération urbaine est situé sous le nouveau pont de Howrah, au milieu d’installations ferroviaires toujours en activité qui autrefois stockaient du charbon. A peine arrivés dans les ruelles de terre, les enfants viennent nous entourer de leurs rires avec simplicité. C’est de là que proviennent plusieurs enfants de nos foyers, en particulier deux sœurs que je n’avais pas revues depuis les vacances de Noël. Ce n’est pas sans émotion que j’ai pu les découvrir dans leur milieu familial : des baraques de tôles et de briques mal ajustées. La réalité s’est brutalement rappelée à moi. Après vingt mois en Inde – passé désormais le choc de l’austérité et du dépouillement de la vie indienne – nos foyers m’apparaissent maintenant bien propres, offrant un cadre soigné et une sécurité au regard de ces slums sales et miséreux. Peu après, les deux sœurs étant rentrées au centre, la nouvelle s’est répandue chez les enfants, avec la joie de savoir que certainement je viendrai un jour les visiter chez eux.


La bénédiction du soir

Le soir à EPN, nous avons désormais un petit rituel qui s’est instauré très naturellement. Vers le mois de novembre, je me suis souvenu de ce petit jeu – sans doute très ancien dont on dit qu’il remonte au XVIIe siècle – que j’ai partagé avec la petite communauté des enfants. J’étais loin d’imaginer le succès qu’il aurait… “Je te tiens, tu me tiens par la barbichette”… J’ai commencé un soir. Puis le soir suivant quelques enfants ont insisté pour y rejouer, et ainsi de suite chaque soir... Ils ont vite fait d’apprendre les paroles et l’air de la chanson, quant à maîtriser les fous rires, c’est une autre histoire... Chaque soir donc, après le dîner, les enfants m’apportent une chaise, se mettent en ligne, et nous commençons. Ce soir-là, c’est Henri, notre responsable MEP pour l’Inde, venu me rendre visite pour deux jours, qui va en faire les frais… Le foyer résonne vite de rires et de la fameuse comptine française, avant l’heure de la bénédiction que les enfants viennent réclamer. Chacun défile, pour recevoir du pater familias une croix ou l’imposition des mains. Quelques-uns me rendent la bénédiction en se soulevant sur la pointe de leurs petits pieds pour pouvoir tracer une croix sur mon front. D’autres me souhaitent de passer une bonne nuit à rêver de Jésus et Marie…

Le cinquième jour de la lune montante

Depuis le mois de janvier, je célèbre désormais la messe tous les dimanches pour la communauté locale de chrétiens à laquelle se joignent le personnel de notre centre et tous les enfants. Pour les enfants la messe est une fête et ils me demandent régulièrement pendant la semaine si la messe aura bien lieu. Je célèbre en bengali, bien que tous ici soient hindiphones, migrants d’États voisins. En fait pour la plupart, ce sont des adivasi, aborigènes de l’Inde, et beaucoup ont pour langue maternelle le oraon ou le santhal. Ces communautés des montagnes, souvent méprisées par les indiens au même titre que les hors caste, se sont converties massivement à la foi chrétienne. HSP leur vient particulièrement en aide. Après m’avoir demandé avant Noël de célébrer la messe régulièrement le dimanche au centre, Cintamoni, la responsable hindoue, m’a proposé de célébrer Vasant Panchami – littéralement cinquième jour de la lune montante de Printemps, qui tombait

cette année le 29 janvier. C’est la fête des moissons et aussi la fête de Saraswati, la déesse hindoue de la sagesse, de la connaissance et de la musique. Cette fête anticipe de quarante jours le festival de Holi qui marque le plein accomplissement du printemps, king of seasons. C’est une fête que tous les écoliers et étudiants attendent avec impatience, et en particulier les filles, car celles-ci auront le droit de porter ce jour-là un saree jaune et rouge, privilège normalement réservé aux jeunes femmes. Pour l’occasion, Cintamoni a demandé les services d’un prêtre brahmane. Difficile d’en trouver un disponible dans le quartier car tous ont été sollicités. Finalement c’est un homme de 90 ans, le père d’un de nos instituteurs retraités, qui a accepté de venir. Il est accompagné de sa femme et de son fils. Ils me saluent en levant les yeux au ciel, la main sur le front en murmurant “Ishor” – Seigneur Dieu. Le Brahmane est très gai avec les enfants, il leur  

explique ce qu’ils doivent faire. Sa femme l’aide à officier la cérémonie. Sous sa direction, les enfants reprennent les phrases de la prière, interrompues de temps à autre, par le tintement des clochettes (ou plutôt on bat une assiette en métal) et le son profond de la sankha, la conque sacrée. Ensuite sont offertes la nourriture – fruits et légumes – les bâtons d’encens et les fleurs fraîches que les enfants jettent au signal du prêtre. Le prasad, l’offrande de nourriture, sera ensuite partagée entre tous.

Le chant du kokil

Dès février, c’est l’arrivée du printemps, annoncé par le kokil, le coucou indien qui se met à chanter de son chant puissant jour et nuit. Les nombreuses fleurs ont embelli notre jardin, tandis que les didi préparent du nimpata – une sorte de plante très amère que l’on mange pour rééquilibrer l’estomac au moment des changements de saisons. Toute la nature s’éveille, et c’est aussi la multiplication des animaux. Ici j’ai souvent l’impression d’habiter dans un zoo. Le matin des oiseaux magnifiques chantent le réveil de la nature et égayent le ciel de leur vol coloré. On pourrait se croire dans une volière. Il y a notamment le isti kutum, un magnifique loriot jaune, le héron blanc, le pic du Bengale, le martin-pécheur qui semble porter toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et de nombreux autres que je ne connais pas encore. Venus des arbres, il y a aussi les grands singes, à qui nous donnons parfois des biscuits, mais qui le plus souvent viennent en razzia chaparder de la nourriture en s’introduisant dans la maison. Il y a les mangoustes, qui entrent dans ma chambre sans prévenir et que nous accueillons volontiers comme prédateurs des serpents. Il y a aussi un bataillon de crapauds qui croassent toute la nuit quand vient la pluie, des rats des champs presque aussi gros que les chats qui les attrapent, des écureuils palmés de la jungle qui bondissent d’arbre en arbre. Il y a enfin toute sorte d’insectes : les incontournables moustiques, des armées de cafards, des fourmis de toutes tailles et couleurs, des libellules, et même quelques lucioles, ces insectes mystérieusement lumineux que je n’avais pas revus depuis l'enfance. Au crépuscule, alors que les quelques bruits de ce coin perdu de Howrah s’estompent, on entend le chant des crickets auquel se mêle au loin la voix des prières du soir : les hindous avec conque et clochettes, le azaan des musulmans, le chant des chrétiens. Cette musique-là forme dans l’air comme une harmonie paisible, un appel à élever son âme vers Dieu à la tombée de la nuit.

Le confinement en Inde

Fin mars, alors à Calcutta pour mes cours de bengali, je suis rentré précipitamment pour une réunion de crise. Après avoir fermé toutes nos écoles et nos centres, nous avons pris acte du confinement annoncé sans préavis par le gouvernement. Dans notre centre d’EPN, les teachers sont rentrés chez eux, tandis que les responsables du foyer, étaient piégés ici, sans moyens de rentrer chez eux au Jharkhand ou au Chhattisgarh. Mon petit groupe de confinement est constitué de deux dada, Roger et John, quatre didi, Cintamoni, Selina, Mukti et Mary, ainsi que quatre enfants de notre staff : Prisca, Nilesh et Akash et Prince. Ma joie c’est que nous formons un bon groupe de chrétiens, puisque tous sont catholiques sauf la responsable du centre. Ainsi, j’ai eu la joie de célébrer la semaine sainte avec ma petite communauté. Petit à petit, la vie s’est organisée. Notre cuisinière et son fils sont partis aider dans un autre centre, et nous avons organisé notre vie de confinement. Je poursuis mes cours de bengali tous les matins avec l’aide de Cintamoni. Les enfants font deux heures d’étude le matin avec les instructions et les exercices que les professeurs transmettent par téléphone. L’après-midi je pilote les opérations de distribution avec les équipes de HSP. Pour la détente, nous avons la joie d’avoir un peu d’espace et de nombreux arbres.



Dès le début du confinement, nous avons mesuré l’urgence de la situation pour les centaines de familles de nos programmes et pour des milliers d’autres familles autour de nous. L’économie, et les écoles – où tous les enfants reçoivent le midday meal – étant à l’arrêt, les besoins allaient rapidement se faire sentir. Il existe un système gouvernemental qui est censé venir en aide aux plus pauvres. Hérité des anglais, le PDS, Public Distribution System, est une gigantesque machine publique d’aide alimentaire. Mais en pratique, de nombreux pauvres n’ont pas de ration card,

notamment les migrants, et les quantités distribuées sont insuffisantes. Stimulés par le grand élan de solidarité qui s’est emparé de Calcutta, avec l’aide de nos premiers donateurs, nous avons acheté plusieurs tonnes de nourriture pour préparer les rations : riz, lentilles, pépites de soja, huile de moutarde et pommes de terre. “La misère frappe à ta porte pour te dire que ton Seigneur est éveillé.” Le Seigneur est là, présent dans ces plus pauvres, mendiant notre générosité. En retour, il nous donne la joie de recevoir des sourires de gratitude. Au centre d’Ashaneer, devenu un gigantesque entrepôt, une équipe se charge en amont de préparer les rations à distribuer. Les responsables de centres et de programmes contactent les familles par téléphone ou se déplacent sur le terrain pour déterminer qui est prioritaire. Après avoir distribué des coupons et identifié un lieu de distribution – souvent en pleine rue et parfois sans l’aide de la police – une dernière équipe emmenée par une de nos ambulances, distribue les rations. Pendant la première semaine, pris par l’urgence, notre centre de EPN a acheté directement des rations que nous avons préparées et distribuées à plus de quatre-vingts familles du quartier. Ce moment de service nous a beaucoup soudé et a contribué à faire de nous une vraie communauté. Ce service est certainement destiné à durer plusieurs mois car les familles vont mettre un certain temps à retrouver leur niveau de vie précédent.


Nous sommes entrés depuis quelque temps dans le mois de baishak, le mois le plus chaud de l’année. Les tempêtes d’été – Norwesters ou kalbaishakhi jhor – se succèdent, arrivant à la tombée du soir et apportant des pluies violentes. Le poète les a certainement traversées, lui qui poursuit : “Le ciel est couvert de nuages ​, la pluie est incessante. Je ne sais ce qui en moi s’agite, je n’en connais pas le sens”. Ces tempêtes se transforment parfois en tornades ou en cyclones. Il y a une semaine, la nuit a été illuminée pendant près d’une heure. Il y avait tellement d’éclairs que l’on aurait dit qu’un immense tube de néon défectueux clignotait dans le ciel. Au moment où je termine cette lettre, la tempête Umphan qui s’est transformée en tempête cyclonique se rapproche de Calcutta.  Dans son poème, Tagore conclut ainsi: “Le ciel gronde et le vent s’engouffre en hurlant dans le vide. La nuit est obscure comme une pierre noire. Que les heures ne s’égarent pas dans la nuit. Allume la lampe de l’amour avec ta vie.”

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